« C’est la fin de la liberté qu’offre l’argent liquide, la possibilité pour la Banque centrale européenne (BCE) de contrôler vos achats, de saisir potentiellement votre argent, une folie ! », s’exclame, sur le réseau social X, le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan.
Des centaines de publications similaires fleurissent aussi sur Facebook et TikTok dans une rhétorique conspirationniste. Mais qu’en est-il réellement ? C’est quoi exactement ce projet d’euro numérique dont tout le monde parle ? On vous explique.
L’euro numérique à la place des pièces et billets ? Pas vraiment
Tout d’abord, l’arrivée éventuelle de cet euro numérique, ce n’est pas pour tout de suite. Et si ce projet va au bout, cela ne sera pas synonyme de la fin de l’argent liquide, à l’inverse de ce qu’assurent ces publications virales sur les réseaux sociaux.
« Cet équivalent du billet, sous forme numérique, sera accessible au grand public, en complément des espèces et des autres moyens de paiement », assure notamment la Banque de France.
L’euro numérique complétera les espèces et les autres moyens de paiement, sans les remplacer. Il viendra accroître la liberté de choix des particuliers, sans aucune obligation d’utilisation.
Preuve en est si besoin, la Banque de France a d’ailleurs récemment annoncé la construction d’une nouvelle imprimerie fiduciaire à Vic-le-Comte, dans le Puy-de-Dôme, pour un montant de plus de 250 millions d’euros. Cela doit permettre à la France de se doter « du pôle de production publique de billets le plus moderne, efficace et écologique d’Europe ».
Et cet « Eurosystème » ne sera « jamais en capacité de voir les informations personnelles des utilisateurs de l’euro numérique, ni de relier des informations de paiement à des individus », commente la banque centrale de la France.
Objectif affiché : « la souveraineté monétaire de l’Europe »
À travers ce projet d’euro numérique, la BCE voudrait, explique-t-elle, donner la possibilité de payer avec un moyen de paiement « sécurisé et accepté universellement dans l’ensemble de la zone euro ».
Comme pour les espèces, les paiements en euros numériques seraient gratuits pour tous dans la zone euro. Objectif clairement affiché : « la souveraineté monétaire de l’Europe », rendant le paysage européen des paiements « plus compétitif et plus résilient face aux fournisseurs de services de paiement non européens ». Pour faire simple, Bruxelles veut réduire la dépendance des Européens aux systèmes de paiements américains tels que Visa et Mastercard.
L’explication est assez simple : les espèces que vous avez dans votre portefeuille sont de la monnaie de la BCE. En fait, ces billets et pièces sont actuellement le seul type de monnaie de banque centrale à la disposition du public. Cette monnaie est aussi appelée « monnaie publique », parce qu’elle est émise par une institution publique, la Banque centrale, et est donc garantie par une institution publique.
Mais les banques commerciales, elles, « créent également de la monnaie », argumente la BCE. C’est le cas lorsqu’elles vous octroient un nouveau prêt, par exemple, et que la somme correspondante apparaît sur votre compte. Ce type de monnaie est lui appelé « monnaie privée ». Le solde figurant sur votre relevé de compte et votre épargne sont aussi de la monnaie privée.
Des commerçants plus soumis aux opérateurs de cartes bancaires ?
Les paiements que vous effectuez actuellement avec votre carte de débit ou de crédit, ou par l’intermédiaire d’un service de paiement en ligne, sont donc des transferts de monnaie privée, créée par votre banque.
Et il faut savoir qu’aujourd’hui, la monnaie de la BCE n’est pas accessible sous forme numérique. Ce projet d’euro numérique viserait donc à combiner « les avantages de la monnaie de Banque centrale et la simplicité avec laquelle les consommateurs effectuent leurs paiements dans le monde d’aujourd’hui ».
La BCE met au passage en avant l’avantage de paiements par euro numérique « traçables et confidentiels », ce qui pourrait réduire les risques de fraude ou de blanchiment, expliquant que cet euro numérique s’approcherait le plus possible d’une version digitale des espèces.
Pour les entreprises et les commerçants, l’euro numérique pourrait aussi représenter une réduction de leurs coûts, puisqu’ils ne seraient plus soumis aux opérateurs de cartes bancaires qui prélèvent des frais élevés sur chaque transaction… Un euro numérique qui serait également disponible à la fois en ligne et hors ligne.
Le marché des paiements digitaux est aujourd’hui largement dominé par des acteurs extra-européens. Visa et Mastercard couvrent plus de 70 % des paiements par carte en Europe. Cette dépendance peut encore s’accentuer avec le développement de solutions de paiement mobile ou des projets de monnaie privée ou encore par la montée en puissance des cryptomonnaies. L’euro numérique serait un moyen de limiter la dépendance aux opérateurs privés et d’offrir une solution européenne de moyen de paiement infaillible et sûre. Il constituerait une protection pour l’Europe, notamment en cas de crise, et renforcerait la souveraineté en matière de paiements en Europe.
La BCE et les banques centrales nationales seraient ainsi chargées de l’émission de cet euro numérique. Il serait ensuite distribué par les banques commerciales. Mais son utilisation pour les particuliers serait gratuite. En revanche, il ne pourrait pas être rémunéré, ni positivement, ni négativement. Un particulier pourrait ainsi avoir, en plus de son compte courant, un compte en euros numériques.
Un portefeuille numérique avec un montant maximal
La première étape consisterait à créer votre portefeuille en euros numériques, via votre banque ou un bureau de poste. Vous pourriez alors l’alimenter, depuis un compte bancaire lié ou en y déposant des espèces. Il ne vous resterait plus qu’à effectuer vos paiements en utilisant les euros numériques disponibles dans votre portefeuille, imagine la BCE.
Lorsque vous recevrez des euros numériques, vous pourrez les conserver dans votre portefeuille numérique, jusqu’à un montant maximal, ou les déposer sur votre compte bancaire. Vous pourriez choisir de le faire manuellement ou automatiquement.
L’euro numérique serait un bien public, comme les billets et les pièces, mais sous forme numérique.
L’euro numérique serait gratuit pour les utilisations de base, via une application mobile ou une carte physique. Il serait également disponible hors ligne, pour les utilisateurs disposant d’une connexion limitée. Le projet de législation présenté par la Commission européenne prévoit que les établissements de crédit distribuant l’euro numérique seraient tenus de fournir gratuitement des services de paiement de base en euros numériques si leurs clients en font la demande.
Mais tout cela ne se fera pas demain. La BCE mène ce projet depuis plusieurs années. Elle a lancé une phase d’étude en 2021, puis une phase préparatoire en novembre 2023. Et elle se prononcera sur la possible émission d’un euro numérique, seulement quand la législation correspondante sera adoptée.
En ce qui concerne le calendrier, cette première phase de réflexion de deux ans doit se terminer en octobre 2025, date à laquelle le Conseil des gouverneurs de la BCE doit se réunir pour prendre une décision concernant les étapes à venir.
Cet organe décisionnaire pourrait ensuite travailler à l’émission d’un cadre réglementaire pour l’euro numérique. En clair, si cela aboutit, l’introduction de l’euro numérique ne se ferait pas avant 2027 ou 2028, au mieux. De longs mois de débats et de défiance en perspective.
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.