Selon une récente publication de la Banque centrale européenne, l’or occupe désormais une place plus importante que l’euro dans les réserves mondiales détenues par les Banques centrales. Ce basculement ne reflète pas nécessairement une perte d’influence de la monnaie unique qui représente environ 20% des réserves de change, une part relativement stable depuis 10 ans. Cette évolution s’explique plutôt par un engouement sans précédent pour le métal doré, considéré comme une valeur refuge en période d’instabilité géopolitique, d’inflation persistante et de méfiance croissante à l’égard de certaines devises. Ces trois dernières années, les Banques centrales ont acheté plus de 1 000 tonnes d’or par an, soit plus du double de leurs achats annuels au cours de la décennie précédente. C’est cette accumulation massive, couplée à une forte hausse des prix, qui a permis à l’or de se hisser sur la deuxième place du podium. Quant au dollar, il reste largement en tête du classement, mais sa part dans les réserves mondiales s’érode progressivement, illustrant la volonté de dédollarisation de certains pays.
La publication de l’enquête annuelle du World Gold Council auprès des Banques centrales donne un éclairage supplémentaire à ces développements et confirme le rôle de plus en plus stratégique de l’or pour les banquiers centraux. Depuis 2018, l’organisme interroge les Banques centrales sur la gestion de leurs réserves d’or. Cette année, 43% des banques interrogées ont déclaré qu’elles envisageaient d’augmenter leurs réserves d’or au cours des 12 prochains mois, un chiffre record depuis le début de l’enquête (elles étaient 29% l’année dernière). En parallèle, aucune n’anticipe de vendre une partie de son or. Le métal doré devrait donc continuer à bénéficier du soutien du secteur institutionnel, qui a joué un rôle majeur dans la hausse récente des cours de l’or (+27% en 2024 et plus de 25% depuis le début de l’année).
«La part du dollar devrait continuer de baisser au cours des prochaines années»
Selon l’enquête, l’or reste plébiscité pour ses performances en temps de crise, son rôle de diversification de portefeuille et sa capacité à conserver sa valeur face à l’inflation par l’ensemble des Banques centrales. En revanche, on observe une divergence entre Banques centrales des pays émergents et celles des pays développés sur certains sujets. Dans les pays émergents, 78% des Banques centrales déclarent détenir de l’or pour se prémunir du risque géopolitique, quand elles ne sont que 46% dans les pays développés. De même, le risque de guerre commerciale est un facteur pertinent pour 64% des banques dans les pays émergents, et pour seulement 40% dans les pays développés.
L’ensemble des Banques centrales s’accordent toutefois sur un sujet : la part du dollar devrait continuer de baisser au cours des prochaines années. Elles sont 28% à penser que les réserves en dollar vont être significativement réduites dans les prochaines années. Ce chiffre est en forte hausse : elles n’étaient que 13% à le penser en 2024, et 5% en 2023. Alors jusqu’à quel point le rôle international du dollar peut-il s’éroder ? L’instabilité géopolitique et le protectionnisme jouent en défaveur du billet vert et la part de l’or et des autres devises (euro et renminbi notamment) pourrait encore progresser. Mais les Banques centrales ne pensent pas que la prédominance du dollar pourra disparaître si facilement. Il bénéficie notamment de la profondeur et de la liquidité des marchés financiers américains, de son rôle central dans le commerce international et de la stabilité des institutions outre-Atlantique. Pour l’instant, aucune autre devise ne réunit les caractéristiques nécessaires (taille de marché, convertibilité, confiance, stabilité) pour remplacer le dollar à grande échelle.
Dans des hiérarchies monétaires en pleine mutation, l’euro semble le mieux positionné pour gagner en influence. Mais pour réellement incarner ce “moment global” évoqué par Christine Lagarde, de nombreux défis restent à relever.