Alors que l’euro s’envole face au dollar dans un contexte de tension aux États-Unis entre Donald Trump et la Fed, les instances européennes rêvent de voir l’euro devenir la monnaie de référence de la planète.
Après des décennies d’hégémonie du roi dollar, et à l’heure où la politique de Donald Trump écorne la confiance envers le billet vert, certains rêvent en Europe de le voir laisser sa couronne à l’euro. Mais la tâche s’annonce ardue, alors que l’euro a touché un sommet depuis septembre 2021, à 1,17 dollar, jeudi 16 juin.
“C’est le moment pour un ‘euro mondial'”, a estimé récemment la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde.
La patronne du FMI Kristalina Georgieva a, elle, évoqué “une opportunité formidable”. “Renforcer le rôle international de l’euro” fait aussi partie de l’ordre du jour du sommet européen qui se tient jusqu’à vendredi, mais reste dominé par la situation géopolitique.
Pourquoi on en parle?
Depuis quelques mois, la guerre commerciale lancée par le président américain Donald Trump et les inquiétudes sur les finances américaines font vaciller la confiance des investisseurs en l’économie américaine et sa monnaie.
Le billet vert évolue jeudi à ses plus bas niveaux depuis trois ans, selon le Dollar Index qui le compare à un panier d’autres devises. À l’inverse, l’or et des devises comme le franc suisse ou l’euro ont le vent en poupe. En résumé les investisseurs boudent les produits associés aux États-Unis pour miser sur d’autres actifs, et se protéger de l’instabilité alimentée par Trump.
“On sort d’une période longue pendant laquelle le dollar avait plus de crédibilité que n’importe quelle autre monnaie”, constate Nicolas Véron, chercheur au centre de réflexion américain Peterson Institute, un phénomène qui remonte à l’après-guerre.
Supplanter le dollar, pour quoi faire?
Le plus gros atout serait la capacité de s’endetter a priori sans limite, car les investisseurs sont à la recherche d’actifs de référence mondiale, par temps calme comme en temps de crise.
“Ce qui est plus ou moins incontestable, c’est qu’un actif de réserve produit une pression à la baisse sur les coûts d’emprunts”, relève aussi Isabelle Mateos y Lago, économiste en chef à la banque BNP Paribas.
Pour les citoyens européens cela peut se traduire par des crédits à des taux plus avantageux ou des investissements publics plus abondants.
C’est le “privilège exorbitant” d’une monnaie puissante, une expression employée en 1964 par l’ancien président français Valéry Giscard-d’Estaing au sujet du dollar: Washington a pu s’endetter comme il l’entendait car les investisseurs internationaux ont acheté sa dette.
Une devise avec ce statut permet aussi aux entreprises et aux ménages de mieux résister aux chocs internationaux.
Et les effets négatifs?
L’internationalisation d’une devise s’accompagne généralement de sa surévaluation. Cela a causé des coups de colère de Donald Trump, pour qui un dollar fort fragilise les exportateurs américains.
Le franc suisse, plébiscité par les investisseurs actuellement, a par exemple vu sa valeur fortement augmenter ces derniers mois, ce qui a inquiété la banque centrale suisse.
Un renforcement de l’euro risquerait d’éroder la compétitivité des exportations européennes.
Où en est l’euro?
“Il est important de faire la distinction entre ce qui est un processus de rééquilibrage et ce qui est une bascule dans lequel l’euro deviendrait la monnaie de référence en remplacement du dollar”, met en garde Nicolas Véron.
Selon lui, “ce processus de bascule pour le moment n’existe pas”.
Le billet vert est ultra-dominant dans les échanges commerciaux où des produits comme le pétrole ou les avions sont payés en dollars, dans les réserves de change des banques centrales même s’il y recule, et dans les paiements interbancaires.
La part du dollar a tendance à diminuer avec le temps. La monnaie américaine représentait encore 72% dans les réserves mondiales au début des années 2000 avant de décliner, indique le FMI. Et après un rebond au début des années 2010, le dollar est de nouveau reparti à la baisse pour atteindre un plus à 58%.
De son côté l’euro n’est pas forcément plus désiré. S’il a grimpé jusqu’en 2010 pour flirter avec les 30%, la crise des dettes souveraines de la zoine euro l’a affaibli. Il plafonne depuis une décennie à 20% des réserves de la planète.
“Il y a des gros progrès à faire”, selon Isabelle Mateos y Lago qui insiste sur la nécessaire amélioration de la “plomberie” financière européenne: l’union des marchés de capitaux, qui peine à avancer, et l’idée d’une dette commune européenne.
“On doit le mériter”, a martelé Christine Lagarde dans une tribune au Financial Times.
De là à remiser le dollar au placard? “La diversification par rapport au dollar prendra du temps et ne se fera peut-être pas au profit d’une seule monnaie”, pense Kathleen Brooks, directrice de la recherche économique du courtier XTB. “L’avenir pourrait être fait de multiples monnaies mondiales.”

