EURO 2025 – Sarina Wiegman, entraîneure de l’Angleterre se confie à Eurosport : “On peut changer les choses grâce au football”

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Eurosport : Sarina Wiegman, quand on regarde le groupe dont vous avez hérité à l’Euro, le moins qu’on puisse dire est qu’en sortir sera tout sauf une formalité. Vos adversaires seront le Pays de Galles, un derby britannique, les Pays-Bas, votre pays d’origine, 10èmes au dernier classement mondial de la FIFA, et la France, bien sûr, un adversaire historique que vous aviez déjà rencontré deux fois en qualifications, avec une victoire 2-1 de chaque côté.

Quand on compare ce groupe à ceux de votre dernier Euro et de votre dernière Coupe du Monde, il parait beaucoup, beaucoup plus relevé. Le moindre faux pas, et vous, les tenantes du titre, pourriez être éliminées. Avez-vous donc préparé ce tournoi autrement ?

Sarina Wiegman : La situation est différente, les groupes sont différents, mais nous ne nous préparons pas différemment. Le premier match d’un tournoi est toujours très dur. Être à son maximum d’emblée est le plus important. Mais c’était déjà dur pour nous contre Haïti (au Mondial) et l’Autriche (à l’Euro). L’équipe sait que nous devons être impeccables dès la première minute. Mais il en va de même pour la France, les Pays-Bas et le Pays de Galles. Nous savons tous que, sur le papier, ce groupe est l’un des plus difficiles. Nous avons vu des choses complètement imprévues se produire lors de tellement de tournois. Nous savons que nous devrons être prêtes à 100% d’entrée de jeu, et pareil pour les Pays-Bas et le Pays de Galles, même si c’est la première fois que [les Galloises] se sont qualifiées. Regardez leurs scores : elles sont très, très dures à battre. Nous avons aussi pleinement conscience de ce que les gens attendent de nous.

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Sarina Wiegman en avril 2025 avec l’Angleterre.

Crédit: Getty Images

On se souvient des deux matches contre la France en qualifications de l’Euro, deux matches qui ont eu des physionomies très différentes. Ces deux équipes sont-elles proches l’une de l’autre à ce point ?

S.W. : Pour moi, c’est un match totalement équilibré. La France est une équipe très forte et très puissante, avec des joueuses très athlétiques, que j’ai toujours perçue comme une force depuis que je suis dans le football international, même si elles n’ont pas toujours progressé jusqu’en demi-finale (des grands tournois). Et au fur et à mesure que le football (féminin) se développe, les pays se rapprochent de plus en plus les uns des autres. Les pays se développent tellement vite qu’il n’y a plus de “matches faciles’ dans quelque compétition internationale que ce soit. C’est excitant. Mais c’est aussi un gros défi en même temps.

“Wendie renard est plus qu’une joueuse de football”

Peut-on comparer la situation de la France aujourd’hui à celle de l’Angleterre il y a quatre ans ? A savoir une excellente équipe sur le papier, mais qui n’est pas encore parvenue à gagner un titre majeur ?

S.W. : Cette situation, vous pouvez la changer. Et elle vous montre aussi combien c’est dur de gagner un tournoi. Atteindre une finale est déjà quelque chose à part, et je crois qu’on sous-estime cela, parfois. Combien de joueuses et coaches peuvent dire qu’elles ont participé à une finale ? Mais la gagner… L’Allemagne l’a fait huit fois. C’est vraiment extraordinaire. Mais avec le développement du football féminin, c’est tellement difficile, ne serait-ce qu’atteindre une finale. La gagner, alors…

Il y a ce sentiment en France, que gagner un titre changerait tout pour le football féminin, qui continue de vivre à l’ombre du football masculin. C’est ce qu’il s’est passé en Angleterre ?

S.W. : Oui. C’est ce qu’il s’était aussi passé aux Pays-Bas quand nous avions gagné l’Euro en 2017 (*) et aussi atteint le finale de la Coupe du Monde (en 2019). Il y a trois ans, l’Angleterre était prête à gagner. L’infrastructure était là. Si on gagnait, tout pouvait s’enclencher. Ca a été un incroyable stimulant pour le football féminin. Les joueuses ont alors écrit une lettre ouverte au gouvernement britannique, demandant que toutes les filles puissent avoir accès au football. Ca a eu tellement d’impact ! Les clubs étaient prêts. Le championnat était aussi d’un niveau très relevé. La fédération et le pays étaient prêts. Tout pays qui gagne une compétition – ou qui l’organise, comme la Suisse aujourd’hui – est stimulé par ça.

Parmi les joueuses de l’équipe de France, y en a-t-il que vous appréciez – ou que vous craignez – plus particulièrement ?

S.W. : Quand je jouais, celle que j’appréciais particulièrement était Sonia Bompastor – et je l’apprécie aujourd’hui beaucoup comme coach. Elle fait un travail incroyable. Cette équipe de France a des joueuses de classe… L’Angleterre aussi. Quand vous voyez ce que Wendie Renard a accompli comme joueuse, c’est tellement impressionnant, et ce qu’elle a fait comme leader aussi. Elle est plus qu’une joueuse de football. C’est elle que je mets en avant, mais je pourrais en choisir d’autres. Dans le football féminin, nous sommes bien sûr en compétition les unes avec les autres, mais nous avons aussi une motivation qui va au delà. Nous voulons améliorer notre sport, dans le monde entier, et nous nous soutenons les unes les autres. Parce que soutenir le football féminin, c’est aussi soutenir les femmes dans le sport, et les femmes dans la société. On peut changer les choses grâce au football. Le football est quelque chose de tellement énorme, dans le monde entier.

La France n’a pas disputé de demi-finale d’un grand tournoi depuis les Jeux Olympiques de 2012. Malgré tout, les Bleues font toujours partie des favorites pour le titre pour vous ?

S.W. : Oui (répondu immédiatement). Avec les qualité qu’a votre équipe, oui.

Voilà quatre ans que vous êtes en poste à la tête de l’équipe d’Angleterre. Est-ce que ce que vous avez vécu correspond à ce que vous attendiez ? Est-ce que vous voyez dans cette position à long terme… à la Didier Deschamps ?

S.W. : (Elle sourit) A la Deschamps, oui… Il a fait du bon travail ! Pour être honnête avec vous, je n’ai jamais eu de plan de carrière. Jamais. Si je l’avais fait, je ne serais jamais arrivée dans le football, parce que, quand j’étais jeune, il n’y avait pas d’opportunités dans le football pour une femme. J’ai toujours fait ce que j’aimais le plus : jouer au football. Après quoi je voulais m’impliquer dans le sport. Coach ? Pas possible. Alors je suis devenue prof d’éducation physique. Et puis j’ai fait mes stages de coaching, et des portes se sont ouvertes pour moi. Je ne me suis jamais attendue à être où je suis aujourd’hui, honnêtement. Je me sens bénie d’avoir eu ces chances d’aller de l’avant. J’ai vécu des choses fantastiques comme coach aux Pays-Bas, avec deux clubs (**) et avec la sélection. Ici, je suis heureuse de la façon dont les choses ont été mises en place et dont j’ai été traitée comme coach, de la façon dont la FA m’a soutenue pour créer un environnement favorable. Le football féminin change si vite. Je me demande parfois à quoi il ressemblera dans cinq ou dix ans… Il y a cinq ans, je ne m’imaginais pas être où je suis maintenant. J’essaie de m’adapter à ce qui change, d’avancer, sur le terrain, hors du terrain. Dans cinq ans ? Je n’en suis pas sûre. Je ne peux rien prédire. Tout va si vite.

“Oui, on nous regarde de plus près, mais ce n’est pas toujours facile”

Y a-t-il plus de pression sur vous aujourd’hui que lorsque vous êtes arrivée en Angleterre ?

S.W. : Quand je suis arrivée, on m’a présentée comme la coach qui avait gagné, donc, il y a toujours eu une attente. Vis-à-vis de l’équipe, et de moi. Vu notre organisation, nos joueuses, nos infrastructures, nous devons être au niveau le plus haut. Oui, nous sommes plus populaires. Oui, on nous regarde de plus près. On dit beaucoup de choses qui sont agréables à entendre, mais ça veut aussi dire qu’il y a des défis supplémentaires. Ce n’est pas toujours facile. On trouve une façon de gérer les choses aussi bien que possible.

Quel est votre meilleur souvenir d’un match joué contre la France, comme joueuse ou comme coach ?

S.W. : C’était au siècle dernier (sourire). Le match durant lequel je suis devenue la joueuse la plus capée de l’histoire des Pays-Bas, en France. En 1966, peut-être ? (rires). Et la première mi-temps de notre match en qualifications de l’Euro, à Saint-Etienne, l’une de nos meilleures mi-temps (2-1 pour l’Angleterre, le 4 juin 2024).

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Sarina Wiegman avec l’Angleterre le 3 juin dernier.

Crédit: Getty Images

Avez-vous déjà eu la tentation de devenir entraîneure d’un grand club, de travailler aun jour le jour ?

Ca m’arrive d’y penser. Il peut se passer beaucoup de temps entre deux rassemblements de la sélection. Les filles se focalisent sur leurs clubs. Trois mois peuvent passer ainsi. Et vous vous dites, j’aimerais avoir plus de temps pour me connecter à elles, et faire du coaching. ca, je le sens. Mais, d’un autre côté, quand nous avons du temps ensemble, quand je sais que nous allons à un tournoi ensemble, c’est quelque chose que j’attends avec impatience. C’est un autre type d’équilibre [à trouver]. Il faut être parfait. Il faut être activé chaque minute de chaque jour. C’est vraiment intense. Si vous faisiez ça trois mois d’affilée, vous épuiseriez votre énergie. La dynamique est différente. Le temps peut sembler long entre les rassemblements, mais j’aime vraiment le job qui est le mien aujourd’hui.

Et entraîner une équipe masculine ?

Je sais ce que je veux, et je sais ce que je ne veux pas, mais je ne planifie rien. Vous ne savez pas ce que la vie vous réserve. Cette idée m’a traversé l’esprit… parce que vous journalistes me la posez tout le temps ! Mais je me sens vraiment heureuse dans le football féminin. Il y a tellement à faire. J’aime y apporter ma contribution. Aussi, si vous me demandez, sérieusement, est-ce que j’y songe ? Non.

(*) Les Pays-Bas, qui organisaient le tournoi, l’avaient emporté 4-2 face au Danemark en finale, Vivianne Mediema marquant un doublé dans ce match. L’Angleterre, qui avait battu la France en quarts, était tombée en demi-finale face aux Néerlandaises. L’entraîneure des Pays-Bas était Sarina Wiegman.

(**) Ter Leede (championnat des Pays-Bas en 2006, Coupe des Pays-Bas en 2007) et ADO Den Haag (championnat des Pays-Bas en 2012, Coupe des Pays-Bas en 2012 et 2013).



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